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Monde numérique, monde « réel » ?
En 2023, dans les sociétés développées, il est difficile d’échapper au numérique, qu’on le veuille ou non.
Dans les entreprises, le numérique a pris la place du papier depuis bien longtemps, 10 ou 15 ans.
Dans la vie privée, le numérique pouvait être évité par les réfractaires jusqu’à l’arrivée des téléphones « intelligents ».
Aujourd’hui, même au fin fond des pays les plus pauvres, les petits écrans se sont imposés.
Il reste peut-être certaines tribus forestières et les moines qui arrivent à vivre sans ces prothèses numériques.
Cette extraordinaire dépendance au numérique n’est pas sans soulever des questions redoutables, que nos sociétés ont parfois du mal à identifier et à affronter.
Progrès techniques et numériques
La première question est justement la dépendance.
Dès qu’il y a vie en société, il y a dépendance. La spécialisation nous fait dépendre d’autres personnes pour la nourriture, le vêtement, les transports, et toutes sortes d’autres choses que nous ne pouvons fabriquer par nous-même facilement.
Depuis le XIXe siècle, l’avènement du confort a entraîné une plus grande dépendance encore : l’électricité, les énergies fossiles abondantes, les moyens de transports rapides…
Au XXe siècle, le téléphone fait advenir l’ubiquité : je peux avoir un interlocuteur à l’autre bout du monde en 10 secondes. Ce sont aussi les machines qui facilitent la vie qui font leur apparition, typiquement le lave-linge, économisant des heures de lessives aux femmes.
Puis c’est l’avènement de l’ordinateur personnel en 1984.
Avec le traitement de texte, le temps du papier et de la machine à écrire est compté.
Vient avec la feuille de calcul, bien plus puissante que toutes les calculatrices.
Le numérique s’impose inexorablement dans le monde de l’entreprise, et commence à entrer chez les particuliers.
Avec Internet dans les années 90, c’est l’interconnexion qui apparaît, sonnant progressivement le glas du courrier papier et de tous les moyens de communication matériels.
Avec le smartphone en 2007, Internet arrive dans toutes les mains, pour le meilleur et pour le pire.
Un univers numérique omniprésent
Avant le numérique, nous étions déjà dépendants aux machines, en particulier aux énergies « modernes » (charbon, pétrole…), à l’électricité, aux moyens de transport rapides, aux machines électriques de la vie quotidienne pour un confort inédit dans l’histoire humaine.
Avec le numérique, on crée de nouveaux besoins.
Après l’eau, le gaz, l’électricité et le téléphone, ce sont les ordinateurs et Internet qui deviennent indispensables à notre vie de tous les jours.
C’est clairement sur la petite plaque dans notre main que la question est la plus sensible.
Y a-t-il beaucoup de jeunes occidentaux capables d’une prise de recul par rapport à leur usage de leur téléphone ?
Possédons-nous les machines ou les machines nous possèdent-elles ?
« L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant » Blaise Pascal
L’homme n’est pas vraiment au-delà de l’animal tant qu’il ne réfléchit que de manière utilitaire : pratique, utile, facile, simple, rapide, sûr, fiable, économique, voici les maîtres mots d’une époque pressée.
Mais on ne voit pas que la sagesse ou la liberté, si indispensables à la « vie bonne » des philosophes, soient au rendez-vous.
Poser son téléphone et le mettre sur vibreur est un bon préalable à une réflexion sur notre dépendance numérique.
Qu’est-ce que je manque ?
Une bonne manière de me motiver à réfléchir est de demander quels sont les bonnes choses que le numérique me fait perdre.
D’abord le temps. Ma vie est limitée dans le temps que je le veuille ou non. Les journées n’ont que 24h, que je consacre à toutes sortes de choses, que je contrôle ou non.
Heureusement, la plupart des gens ont du temps, au moins hors du travail. Leur famille peut leur demander beaucoup de temps, il en reste quand même souvent.
Qu’est-ce que je fais du temps qui me reste ?
Est-ce que je décide de l’employer d’une manière que j’ai décidée ou bien est-ce que je me laisse porter par mes envies ?
Ma famille
Ne pas dépendre du numérique, c’est construire davantage ma vie de famille.
Il ne s’agit pas seulement de réduire le temps que je passe seul devant mes écrans, mais aussi de développer, ou rétablir, mon attention aux membres de ma famille.
Parler à quelqu’un qui regarde son téléphone, c’est difficilement supportable. Quand cette personne est un membre de la famille, ou pire un conjoint ou un enfant, ça peut tourner à la torture.
L’attention à l’autre
Donc décider de ce que je fais de mon téléphone quand on me parle est un acte très important, d’autant plus que je décide de le faire systématiquement.
L’attention à l’autre est à la base de la vie sociale. Ne pas donner à l’autre des marques d’attention, c’est faire comme s’il ne comptait pas, comme s’il n’était pas là.
Regarder dans les yeux quelqu’un qui me parle en y mettant toute l’attention dont je suis capable, c’est lui faire un immense cadeau qui ne coûte rien, sinon peut-être le fait de ne pas immédiatement répondre à ce texto que j’attendais.
Quelle disproportion !
Il y a là une belle occasion d’agir en être humain libre et sage : je décide que, quand on me parlera, je poserai immédiatement mon téléphone écran en bas, ou je le mettrai dans ma poche. Puis je le regarderai dans les yeux sans dire un mot et sans détourner mon regard trop souvent.
Ce sera d’ailleurs un excellent moyen de saisir plus rapidement ce qu’il me dit, d’exercer une réelle attention et pas seulement une apparence d’attention pour faire plaisir.
Mes amis et relations
Faire plus attention à ses écrans qu’à ses amis et connaissances, c’est un bon moyen de les perdre ou de ne jamais en avoir.
Qui ne connaît ces personnes plus ou moins asociales car elles n’ont jamais fait vraiment attention à leur consommation d’écrans ?
Que c’est triste !
Réfléchir à ce que je peux faire pour sortir de mes écrans et de chez moi afin de voir du monde, et planifier de passer du temps avec mes proches, voilà qui me construit. Car construire des relations authentiques, en particulier amicales, c’est indispensable à une vie humaine vraiment humaine, déployée, jaillissante.